Etape 1. Eurodiagonale Dunkerque-Copenhague
Etape 1 Dunkerque-Anvers 24/06/2018- 172 km Guy Amat et Jackie Cibrario
La veille, le 23-juin, nous avions rejoint Dunkerque depuis Toulouse en bus-macron, un voyage de 18h, un genre particulier que je déconseille aux âmes sensibles.
Moi qui ai vécu quelques années à Mayotte j’ai retrouvé avec plaisir l’ambiance africaine. Nous étions installés sur la banquette placée en face les toilettes d’où nous observions en toute discrétion les allers et retours des femmes en boubou en spéculant sur le déclenchement de la cuvette dont l’utilisation interdite avait était expressément annoncée par le chauffeur parce qu'il craignait "quelques difficultés " avec l’évacuation. Je ne sais plus qui de Jackie ou de moi a obtenu le meilleur score mais la partie fut interrompue par le chauffeur avant la fin du match en raison de « l'inondation du terrain ».
Vers 2h du matin, le chauffeur nous informa au micro qu’il s’apprêtait à faire demi-tour pour aller récupérer une passagère oubliée lors de l’arrêt-détente sur un parking de l’autoroute situé cinquante kilomètres en amont. Quand la femme retrouvée remonta dans le bus elle s’assit derrière nous à coté de ses copines en boubou. Je crains un instant un mouvement de colère, un sitting de protestation dans le couloir central comme j’en connus à Mayotte, une révolte même ! qui nous retarderait davantage, mais non, rien, personne ne bougea. Au final nous arrivâmes en gare routière de Paris-Bagnolet avec une heure dix de retard.
À l’arrivée à Dunkerque le bus nous déposa dans une vaste zone portuaire déserte.
Nous longeons des bassins inactifs passons un pont levant qui apparemment ne s’est pas levé depuis longtemps pour terminer à pied à travers le chantier du quartier de la gare et atteindre enfin notre hôtel caché par les travaux. L’affaire eût été mal engagée sans ce petit estaminet au patron flamingant dans lequel nous nous précipitons sans hésiter une seconde, guidés par nos seuls estomacs retournés par 18h de bus-macron.
A l’aller, Dunkerque me fit l’effet d’une ville mal fagotée entre, zones portuaires, centre historique et périphérie.
Je m’étais promis, à mon retour, d’en faire le tour à vélo pour mieux comprendre et faire quelques photos. Une rencontre fortuite dans un bar avec un chauffeur de taxi m’éclaira sur le remue-ménage que subit cette ville. En effet la reconversion des friches portuaires, la réhabilitation des canaux, la rénovation des places etc…ont démarré il y a plus de quinze ans dans un projet global de transformation urbaine prenant en compte à la fois, le port, le centre-ville, les quartiers, les dessertes routières, ferroviaires etc… un chamboule-tout énorme. Le taximan n’en imagine pas la fin avant longtemps.
Ce dimanche 24 juin, nous quittons Dunkerque vers 5h 30, une légère brume plane au-dessus des marais.
Elle sera balayée dans la matinée dès que le vent attendu de NO se lèvera. Bien que ne soufflant pas très fort ,15 à 20 km/h, ce petit vent contraire finira par m’user. Dans l’immédiat je ne le ressens guère, elle serait même plutôt rafraîchissante cette petite brise. Pour l’instant la difficulté est dans la configuration du parcours. Les itinéraires vélos tracés en ligne, quelles que soient les applications (elles ont les mêmes algorithmes), nous envoient balader sur des voies vertes, sur des pistes, le long des canaux, dans des parcs, dans les bois, sur les pavés des centres villes etc… très agréables certes quand on a tout le temps pour s’arrêter cueillir le rouge coquelicot ou ramasser la belge myrtille très prisée parait-il des cyclistes flamands quoique, ceci dit en passant, bien en dessous de la myrtille d’Amélie en 33cl à 6° une boisson indigène digne du pot belge, et surtout du « rince cochon » que Jackie me fit connaitre à Dunkerque. Mais reprenons le verre… Je disais donc qu’une eurodiagonale n’est pas une promenade de santé. Avec sa distance totale de 1075km à effectuer en 6 jours et 6 heures elle nous force à réduire les temps d’arrêts au maximum, ce que je ne parviendrai jamais à faire. Après Hambourg, le vent s’inclinant travers ouest ce fut un peu moins difficile pour moi. Dans les deux dernières étapes et demi je pus ainsi rouler dernière Jackie sans trop le perdre de vue à une allure relativement soutenue.
Le vélo c’est de la voile. Le retour sera plus facile, vent portant désormais. Au Danemark d’abord sur des routes tranquilles le dimanche 3 juillet, le lendemain dans le nord de l’Allemagne (S-Holstein) où nous roulerons le plus souvent possible pleine chaussée ; les pistes cyclables étant chaotiques dans certains endroits.
A la sortie de Dunkerque nous prenons le pont du canal d’exutoire en direction de Leffrinckoucke et de Zuydcoote. Il n'y a personne sur la D60. La température est idéale. Elle monte rapidement dés que le ciel se découvre pour atteindre au plus fort de la journée 28°C. Il en sera ainsi jusqu’au bout à l’aller comme au retour. Six kilomètres après Bray-Dunes, commune la plus septentrionale de France, nous entrons en Belgique à hauteur de La Panne. Nous sommes en Flandre néerlandophone. Je remise mon français au placard et sors ma marionnette anglaise qui, comme la poupée de Brassens, ne dit que quelques mots quand on la touche quant à Jackie je le surprendrai en train d'échapper quelques gracias et obrigado qui ajouteront à notre cocktail langagier un trait d’exotisme latino original. Malgré la confusion linguistique qui atteindra son point culminant au Danemark, nous parviendrons toujours à l’essentiel ; demander de la bière dans les bars, ce qui ne sera pas le plus difficile car le mot est à peu près le même dans toutes ces langues. J’ai parlé la langue des signes, le google-traduction ultra chiadé, le papy-fait-de-la-résistance en Allemagne, rencontré des francophones à Anvers, sur le bac à Hambourg, à Copenhague, sur la route…bref lorsqu’on débarque quelque part, la mine défaite, poussant le vélo devant soi, les barrières tombent : plus besoin de faire des phrases, un mot, un borborygme même suffit.
Un peu après Bray Dunes, nous suivons les pistes le long des canaux ; canal de Dunkerque-Furnes-Nieuport où des nuées de cyclistes sportifs à deux ou trois de front me fondent sur le râble.
Ça chauffe ! Jackie tombe la chemise à Adinkerque
A la sortie de Furnes nous empruntons la route verte dite « Cogge-Geeraert » en souvenir de la bataille de l’Izer qui stoppa en 1914 l’avancée vers la France des armées allemandes grâce à ce monsieur Geeraert, éclusier de son état, qui proposa d’inonder la plaine. Nous sommes dans les polders et il suffit de laisser les écluses ouvertes à marée montante pour que la région se retrouve sous l’eau.
Je vais à la vitesse d’un mouton. Je me sens en symbiose avec eux. Ce matin je suis mouton au grand dam de ce pauvre Jackie qui n’a de cesse de m’attendre. Après demain je ne le sais pas encore, peut être en ai-je le présentiment, je serai immolé sur la route de Hambourg.
Nous traversons l’Izer à Nieuport et prenons le canal Passendale jusqu’à Bruges. A l’aller, nous ne nous arrêterons pas à Bruges nous le ferons à notre retour. La visite de Bruges nous fut recommandée par un vélociste dunkerquois, collectionneur de vieilles bécanes, qui me remplaça in extrémis la roue arrière, le moyeu ayant subitement lâché dans les rues de Dunkerque la veille de notre départ.
Le centre historique de Bruges vaut le détour ; le beffroi, les pignons à redents des toitures, les façades plates en briques de couleurs …
Juste après Damme, nous enquillons le canal Léopold qui longe la frontière avec la Hollande. Depuis Dunkerque nous sommes pris dans un entrelac de canaux que quadrillent cette région des Flandres : Canal Dunkerque-Furnes (en partie) , canal Furnes-Nieuport, canal Nieuport-Oudenburg, canal Ostende-Bruges, canal Bruges-Damme, canal Gand-Zeebruge(Leopold).
Au total 50 à 60 km de pistes cyclables le long des canaux, malheureusement les revêtements sont de qualités très diverses ; asphalte, béton, graviers, on a un peu de tout.
A Damme le panneau de Knokke (le Zoute), me rappelle Jacques Brel. Sa chanson commence à trotter dans ma tête : « le soir quand je suis argentin, je m’offre quelques argentines mais ce soir y’a pas d’espoir je finirai la b… sous le bras ».
Moulin de Damme (Schellemolen). Mon premier moulin. Il me sort de la platitude du paysage qui me poursuit depuis le départ. La dénivellation maximale sur cette étape est de 24m. Le pays est plat ; le plat-pays de Brel, « avec les moulins pour unique montagne ». Dans l’état où je suis je ne vais pas m’en plaindre. Tel qu’il est là, ses ailes sont orientées vers la mer. Je suis sûr qu’en grimpant sur le toit on voit la mer du nord. A Moerkerke la frontiere n’est pas loin et les pistes cyclables rouges annoncent la Hollande.
Non ce n’est pas une blague belge. Le jeu consiste à jeter les ordures dans le panier de basket depuis le vélo sans s’arrêter ? j’ai raté la cible à mon premier passage. Au deuxième aussi, pile sur le cercle ! Un cyclo-belge me conseilla de réessayer encore…une fois.
C’est dans les cafés blottis derrière les églises que l’on révise notre catéchisme.
Je sors ma carte papier, mets en recharge mon GPS à la prise électrique en libre-service au bord de l’avenue et prenons un verre de bière à la table d’anversois intrigués par le maillot de la LEL qu’arbore fièrement Jackie. Ici nous sommes près de Stekene à une quarantaine de kilomètres d’Anvers. Le problème qui se pose à nous est le passage de l’Escaut à Anvers. Le tunnel auto routier est interdit au vélo. Le GPS nous envoie sur une ligne difficilement interprétable depuis l’appareil. Serait-ce un bac, une passerelle ? Un francophone de la table m’indique qu’il s’agit du tunnel Sint Anna et qui plus est réservé aux vélos (et aux piétons).
Nous prenons quelques voies tranquilles ou nous croisons des retraités aux mines fraîches qui contrastent outrageusement avec la mienne. La terre agricole est découpée en petites parcelles drainées soigneusement cultivées ; ici sur la photo, des serres à raisins.
Enfin voici Anvers que nous découvrons depuis la rive gauche de l’Escaut. Il est 17h 30, douze heures de vélo, 172 km sur terre plate certes mais où les agglomérations nombreuses qui se succédèrent furent parfois aussi difficiles à passer que les bosses du lauragais, autant dire la coupe est pleine il est temps que j’en finisse avec cette première étape et je suis impatient de trouver un hôtel.
La trace nous conduit au tunnel Sint-Anna dont l’accès inattendu nous laisse perplexe on s’arrête au pied d’un curieux édifice en brique jaune de plusieurs étages style rétro. Il faut entrer dans le bâtiment et choisir entre un escalator style art déco, bois et cuivre, et un ascenseur tout aussi vintage pour descendre au niveau de l’entrée du boyau qui se situe à -31m
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A la sortie, rive droite,je file en centre ville à la recherche de l'hôtel pointé sur mon GPS: un hôtel indien situé juste en face de la gare centrale