Belesta de printemps : 8 Avril 2017
7h00 à Pechabou. Descente sur la nationale, remontée vers Deyme et rejoindre l’équipe au château d’eau de Montbrun.
Aujourd’hui Belesta. Notre classique longue distance du début du printemps. Ce parcours fut jadis proposé par le rouleur de grand style Hervé Gentils, qui, en visite chez son ami José Gabalda à Seigneurix, explora l’Ariège industrieux du dix-neuvième siècle et le piémont audois au-dessus de Limoux. Trente-cinq ans plus tard, cette classique est toujours au programme, avec quelques petites modifications néanmoins. C’est un monument, notre doyenne, notre Liège-Bastogne-Liège. Pour la sacraliser, j’avais demandé son inscription au règlement intérieur de notre club, avec obligation de la faire chaque année. C’était pour moi au moins la trentième édition, et je pars ce matin avec beaucoup d’allant.
Toute l’équipe est là, François, Guy B, Jo, Pierre et moi. Direction Nailloux, avec une prudence particulière, car les automobilistes venant de l’arrière ont le soleil rasant dans les yeux. A Nailloux, un regard pour la boucherie Calvet, héritier du géant Calvet, chevillard, boucher, charcutier dans les années soixante-dix à Castanet. Un grand personnage historique, sa boucherie fut remplacée par une banque, LCL, car depuis les hallucinantes années Haberer, on ne peut plus dire Le Crédit Lyonnais.
Trois TGV, coureurs FSGT, Lionel, Jean et Valérien sont également inscrits, qui sont partis un peu après nous et qui devraient nous rejoindre au premier contrôle.
Sur la crête a proximité de Montgeard
Très belle vue en haut de Mazères et descente paisible où tomba gravement le grand Guy A, en randonnée aujourd’hui au Vietnam, à la poursuite des GI américains perdus dans une sale guerre achevée dans le déshonneur en 1975.
Plongée vers Mazères
La petite route Mazères – Villeneuve de Paréage est toujours agréable. Personne. Un trait plat entre les prairies et les champs déjà pauvres de l’Ariège.
Dans la plaine en direction de Villeneuve du Paréage
Nous contrôlons à Verniolle, de préférence à la Tour de Crieu. Notre café à la Tour de Crieu prend l’eau. L’allemande Monika qui le tient s’est laissée déborder par quelques malheureux laissés pour compte des tristes parages de Pamiers. Et la vie s’y passe à attendre. Attendre quoi, ils ne savent pas. A Verniolle, notre café, au nom pas du tout usurpé de salon de thé, est pimpant. La patronne tient son entreprise comme une pro du CAC 40. Rien ne manque, il suffit de demander.
Les trois coureurs FSGT nous rejoignent alors que nous partons. Il y a du lourd, du palmarès dans l’air. Lionel semble vouloir en découdre et est très impressionnant.
Nous repartons direction Lavelanet, à travers les deux difficultés, Sarnac et Raissac.
François et moi restons au contact jusqu’à Sarnac. La suite dira que peut-être n’aurais-je pas dû. Nous nous regroupons tous les cinq à Rappy et reprenons les affaires courantes direction Lavelanet.
En bas de Carla de Roquefort
Lavelanet. La désolation. L’industrie textile ancienne complètement disparue, quelques boutiques de mode années soixante-dix, à l’abandon. Des affiches pour l’élection présidentielle qui approche et qui devraient donner de l’espérance. Qui devraient.
Des jeunes désœuvrés, aujourd’hui est samedi, mais je crains que toute la semaine soit ainsi.
Chaque année nous disons la même chose. Cette année, France insoumise, Faire battre le cœur de la France…Nous passons.
Belesta après la ligne droite circulante, sans doute les dix kilomètres les moins plaisants du parcours. Des voitures qui vont vers Quillan, ou peut-être la route des cols.
Au bout, Belesta. Belesta qui donna son nom à notre classique, Belesta jadis capitale mondiale du peigne à corne. Belesta aujourd’hui sans accroche, presque déserté. Il y a bien à droite la route de Montségur, une invite à visiter les châteaux cathares, et puis le beau village de Fougax et Barrineuf, dernière maison de mon collègue Luc P, mort à 58 ans, sans prévenir, un vendredi en plus, alors qu’il devait aller à la pêche le samedi. Dans les années quatre-vingt dix, nous faisions un arrêt à Belesta, au café Pibouleau, oncle de Luc. Tout pour le randonneur disait l’accorte patronne à des cyclistes déjà entamés par les cent premiers kilomètres.
Plus d’arrêt. Nous filons sur la Babourade, presque à 700 mètres d’altitude, jonction entre l’Ariège et l’Aude. Le paysage change, plus méditerranéen, la montée facile est agréable. La descente sur Puivert et le Quercorb est panoramique. En face de nous, l’inquiétant château de Puivert qui inspira tant Bertrand Tavernier.
A Puivert, virage à gauche pour un bel enchaînement, col des Tougnets, col des Festes, col de Piccolordy. Magnifique montée jusqu’à 755 mètres, avec deux passages dans lesquels il faut s’employer. Les hommes forts ont pris position. Le grand rouleur François est très efficace sur sa machine, Jo ne le quitte pas, volontaire en diable, le métronome Guy B, qui fait une magnifique saison, est très attentif, et Pierre, retour de blessure, est prudent, mais son foncier parle.
Piccolordy, c’est un passage découvert par le grand randonneur Xavier Pasquet, et qui nous permet d’arriver en descente au col de Saint-Benoît.
En haut de Picolordy
Nous descendons par vent favorable ensuite jusqu’à Mirepoix. Un passage au pied du col de la Flotte, à notre programme il y a deux ans, puis à Peyrefitte du Razès, popularisé par Philippe Noiret. Mirepoix sera notre deuxième grand arrêt.
Mirepoix est une anomalie ariégeoise. La plus belle place sans doute de l’Ariège, une cathédrale très riche, des artistes de rue ou à pignon sur rue, des touristes fortunés, on parle anglais à beaucoup de tables, et parfois aussi russe, la fortune doit être plus récente, et à l’origine souvent inconnue. Des startuppers aussi qui proposent les nouveaux process Uber.
Nous reprenons nos conversations, Fillon, Mélenchon, Le Pen, Macron, les autres. Les frappes américaines en Syrie, la guerre du Vietnam que vient nous rappeler Guy A, qui, à ce moment-là, nous envoie un message entre Haiphong et Da Nang. On voit les GI apeurés dans un pays hostile tenu par le Vietcong. Guy A essaie de rester indemne. Difficile. Il ne veut pas connaître son Dien Bien Phu 1954. Un carnage pour nous, une tâche sur notre Histoire de France, nous rappelle Jo.
Bref. Nous avons de quoi faire. Les trois coureurs à ce moment-là sont à Salles-sur-l’Hers. Valérien s’accroche aux deux locomotives, les lignes droites, même vent dans le dos, tuent leur homme aussi sûrement qu’un missile télécommandé d’un drone anonyme.
Nous repartons. J’ai un coup de pas bien. Je vais rouler en facteur, je vais attendre le virage où je sais qu’à coup sûr le vent sera très favorable, c’est un virage après Fajac la Selve, festival Molière tous les étés, je sais exactement où.
De toute façon, il ne peut rien m’arriver, je connais cette route par cœur. A l’ancien octroi de Plaigne, où jusqu’en 1930 il y avait une gare sur la ligne de chemin de fer Belpech-Fanjeaux, le vent est très défavorable. Tant pis.
A Salles sur l’Hers, un repas Bienvenue à nos aînés. Tristesse absolue du grand âge, marches difficiles, isolement complet. France oubliée, enfouie, je contemple avec effroi mon avenir. Une femme qui sort me dit Mourez cardiaque ou dans un accident, mais jamais ici. Elle a raison dans la seconde. Oui un crash d’Airbus entre Paris et New-York t’évite la maison de retraite. Vite partir.
A Gardouch, nous retrouvons le canal, paisible après-midi. Les trois coureurs sont arrivés à 16h45. Pour nous ce sera 18h20. Mais de flâneries en conversations, nous n’avons pas vu les 216 kilomètres, juste deviné les paysages printaniers sous cette éblouissante météo.